Voici la déclaration faite vendredi matin à l'antenne de Radio Haïti Inter par Madame Michèle Montas Dominique.
" Je reprends le micro ce matin après 50 jours de silence forcé que je m'étais imposée pour protéger ceux qui sont l'âme de Radio Haïti, nos journalistes, nos animateurs , nos techniciens. Force est pour moi de constater que depuis l'attentat du 25 décembre et malgré mon retrait temporaire du micro les mêmes dangers ou des dangers plus graves pèsent aujourd'hui sur ceux qui font de cette station ce qu'elle est, un media indépendant et crédible. Nous avons payé très cher pour cette crédibilité. Nous avons déjà perdu trois vies. Nous refusons d'en perdre davantage.
Le gouvernement et la police ont certes depuis l'attentat dirigé contre moi et le meurtre aberrant de Maxime Séïde le 25 décembre pris des mesures importantes pour assurer ma propre sécurité; et celle de l'édifice principal . Mais aujourd'hui il ne s'agit pas de ma personne mais d'une équipe paralysée par des menaces constantes et des dangers évidents. Sans cette équipe Radio Haïti n'existe pas. Pouvons nous travailler quand chaque reporter craint pour sa vie? Pouvons émettre lorsque chaque opérateur refuse que son nom soit cité de peur d'être identifié. Dans une lettre datée du 1er février et adressée à la direction de cette station, nos journalistes expriment leur inquiétude profonde et le désarroi qui règne dans notre salle de nouvelles. Des informations fiables font état maintenant d'attaques prévues pendant le carnaval contre les membres de notre équipe. D'autres travailleurs de la presse sont aussi aujourd'hui gravement menacés dans un climat général d'intolérance et d'impunité. Dans le cas précis du personnel de Radio Haïti, chaque jour est un 25 Décembre potentiel.
Dans leur lettre nos journalistes font état de nombreux incidents enregistrés depuis les funérailles de note agent de sécurité Maxime Séide le 9 Janvier 2003. Coups de téléphone anonymes nous menaçant du sort de Maxime, agressions verbales contre nos reporters dans leurs activités quotidiennes ou surveillance manifeste, présence signalée de deux voitures suspectes sans plaque d'immatriculation aux abords de la station le soir. Un climat lourd et constant visant manifestement à nous faire taire.
Qu'on soit venu de nouveau tirer sur mon domicile après le 9 janvier en mon absence témoigne certes de l'opiniâtreté de ceux qui m'ont pris pour leur cible privilégiée. Mais ceci est aujourd'hui dérisoire. Face à la situation que confronte nos reporters dans la rue. Ils ne peuvent exercer leur métier de témoin sans pouvoir circuler librement et sans peur. Ils ne peuvent être protégés par des agents de sécurité, sans être l'otage de ceux qui les protègent. Seul un changement objectif dans les conditions qui entourent Radio Haïti peut rendre l'exercice de notre métier de nouveau possible. Ces conditions ne sont pas réunies et l'issue incertaine du dossier judiciaire sur l'assassinat de Jean Dominique et de Jean-Claude Louissaint continue d'être l'épée de Damoclès sur notre capacité à faire notre travail, tant que les assassins sont dans la ville.
" Aujourd'hui dit la lettre signée de tous nos journalistes de Port-au-Prince, la salle de nouvelle se sent menacée à un point tel qu'on se demande si l'attentat perpétré le 3 avril contre Jean Dominique et Jean Claude Louissaint n'était pas la partie visible d'un vaste complot pour faire échec à la lutte que même Radio Haïti depuis 68 ans " .
Aujourd'hui nous parlons de survie. Le silence sur l'enquête autour de la tentative d'assassinat du 25 décembre et le meurtre de Maxime Séïde est inquiétant au moment où des menaces s'intensifient sur nous. Nous croyons collectivement qu'il nous faut agir rapidement, avant qu'il ne soit de nouveau trop tard. , avant que les dangers actuels ne se transforment en perte d'autre vie irremplaçable.
Aujourd'hui la direction de Radio Haïti se trouve forcée de prendre une décision pénible bien que provisoire éteindre nos antennes. A partir du samedi 22 février, Radio Haïti s'arrêtera temporairement d'émettre car nous croyons primordial de protéger d'abord des vies.
Cela aurait été la décision de Jean Dominique.
Ne pouvant aujourd'hui savoir combien de temps durera cette pause nécessaire de silence, de réflexion et d'évaluation, nous la souhaitons de courte durée. Nous savons que nos auditeurs et nos commanditaires en comprendront la nécessité. Radio Haïti ne sera pas fermée . La station continuera de fonctionner en silence, travaillant à la production d'émissions de fond qui seront diffusés ailleurs ou sur nos ondes lorsque les circonstances nous permettront de reprendre notre droit à la parole.
Ce silence sera lourd pour beaucoup. Certains tenteront de l'utiliser à des fins politiciennes, comme on avait tenté de le faire du cadavre d'un combattant de la démocratie. Nous nous y refusons. Radio Haïti restera ce qu'en avait fait Jean Dominique un media libre à l'image d'un homme libre.
Cette pause temporaire à la durée indéterminée pour le moment ne fera que renforcer la détermination de notre équipe profondément soudée. Nous n'abandonnerons jamais non plus notre combat de justice pour Jean Dominique, un combat mené pouce par pouce depuis trois ans. Radio Haiti, même silencieuse ne sera pas fermée. Nous ne prendrons pas non plus l'exil pour la troisième fois. Non. Cette terre et ce rêve de démocratie ont été abreuvées de notre sang. Ils sont à jamais nôtre. Nous n'abandonnerons jamais non plus le plus large combat mené par Jean contre l'impunité contre l'exclusion, pour la liberté d'expression et l'état de droit. Nous savons que nous n'avons d'autre arme que notre métier de journalistes, mais note silence continuera de pose la question des libertés, la liberté d'informer, d'énoncer une pensée critique et celle de la plus vaste liberté d'expression, aujourd'hui menacée par des individus qui se croient au dessus des lois. Ce n'est qu'un au revoir.
Que vive Radio Haïti.
Michele Montas.
3 avril 2003
Texte diffusé sur les ondes de stations de radio de Port au Prince
Je suis Michèle Montas, veuve de Jean Dominique, Directeur à l'Information à Radio Haïti.
Il y a trois ans, aujourd'hui, le 3 avril 2000, le journaliste Jean Léopold Dominique, devenu le symbole de la défense des libertés de penser et de dire dans notre pays meurtri, était assassiné dans la cour de sa station, Radio Haïti. Ce jour là, Jean Claude Louissaint était aussi abattu par des tueurs stipendiés dans un attentat soigneusement planifié et exécuté.
Aujourd'hui, je suis forcée de marquer ce 3ème anniversaire sur les ondes de station surs, a un moment ou Radio Haïti demeure silencieuse pour raison évidente de sécurité. Nous avions éteint nos antennes, il y plus d'un mois devant l'accumulation de menaces qui avaient suivi l'attentat de la Noël et l'assassinat de Maxime Séïde, pour protéger des vies. Ces vies sont encore plus menacées aujourd'hui car ceux qui ont planifié ces meurtres, ceux qui ont payé pour l'attentat de la Noël, presque trois ans après, sont toujours libres de frapper n'importe où, n'importe quand, en toute impunité. Les assassins sont dans la ville, encouragés et protégés aujourd'hui par le manteau d'une ordonnance indigne.
Aujourd'hui, on veut nous faire croire qu'un homme de main, avec la complicité présumée de 5 individus, fournissant voitures et armes auraient tué le 3 avril, sans motifs apparents. L'ordonnance, dite de clôture, du juge Bernard St Vil et le réquisitoire, dit définitif, du Commissaire du gouvernement, ne répondent à aucune des questions qui se posent depuis trois ans : Qui a payé pour tuer Jean Dominique, comment expliquer les embûches et les obstacles dressés le long de cette instruction, longue, difficile et dangereuse? Qui protége aujourd'hui les commanditaires du meurtre de Jean Dominique?
Trois morts de notre coté, au moins trois du côté des présumés tueurs et trois juges d'instruction plus tard, nous en sommes presqu' à la case de départ puisque les six individus désignés sont en prison depuis plus de deux ans. On veut nous faire croire aussi, peut être, que se sont les mêmes individus de leurs cellules du Pénitencier national, qui auraient planifié l'attentat de la Noël, contre ma personne et qui a coûté la vie à Maxime Séïde. Cet attentat, soulignons le, n'a jamais été élucidé ni par le Commissaire du gouvernement, ni par la police judiciaire.
L'ordonnance sur les assassinats du 3 avril ne tente pas d'expliquer les multiples péripéties publiques qui ont entouré ce cas : de la mort étrange et de la disparition du cadavre d'un suspect présumé, alors incarcéré, au lynchage spectaculaire d'un second suspect extirpé d'un commissariat où il était en garde a vu, fait inexistant pour le juge instructeur. L'ordonnance mentionne en passant un autre suspect, lui aussi mort en détention sans aucune explication ou poursuite. Des informations du domaine public : mandats d'arrestation lancés et non exécutés, tentatives d'intimidation de magistrats, déclarations publiques de certains témoins, ou suspects, actions en justice en cascade d'un inculpé, refus du Sénat de lever l'immunité d'un parlementaire, tergiversation de l'exécutif sur le renouvellement du mandat d'un juge, ou décision de ce juge de prendre l'exil, ne trouvent dans cette ordonnance aucunes explications.
Alors que le magistrat instructeur St Vil avait souligné le travail remarquable accompli par son prédécesseur : interrogatoires, confrontations d'inculpés et de temoins, des pans entiers de l'instruction menée par les juges Fleury et Gassant semblent avoir disparus sans laisser en tous cas de traces apparentes dans l'ordonnance. Même certaines inculpations établies quelques semaines plus tôt par le magistrat instructeur St Vil lui-même ont disparu de cette ordonnance, sans justification. L'ordonnance évoque comme obstacle majeur a l'instruction, l'absence de l'ex commissaire Mario Andresol qui aurait des informations à fournir. Signalons que Mario Andresol était en avril 2000 responsable de la police judiciaire et il est étonnant que les résultats de l'enquête menée à l'époque par un autre absent, l'inspecteur Jeannot François, ne soit pas inclus dans les plus de 300 pages de documents remis à l'instruction.
Et c'est sur cette ordonnance que le Commissaire du gouvernement, chargé de poursuivre au nom de la société les assassins du journaliste, mais en même temps fonctionnaire de l'exécutif, joue l'incroyable rôle de Ponce Pilate. Et c'est avec cette ordonnance que le Commissaire, Josué Pierre Louis veut la tenue d'un procès ce mois ci, aux assises criminelles. Aujourd'hui c'est contre cette ordonnance là que nous interjetons formellement appel devant la justice haïtienne
Jean Dominique, un homme au courage et aux convictions affirmées ne mérite ni l'excès d'honneur ni l'indignité d'un procès sans justice. Prend-t-on encore une fois les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages?
On me soulignera certes qu'il s'agit ici d'actes du judiciaire, que les pouvoirs sont indépendants.
Mais au-delà des carences de notre système judiciaire, la portée politique d'une telle ordonnance ne peut pas échapper aux responsables de ce pays. Réduire le cas Jean Dominique à l'inculpation de quelques tueurs à gages est une lourde responsabilité car l'assassinat du journaliste, devenue une cause célèbre, est aujourd'hui à l'échelon international l'étalon de mesure des réalités démocratiques haïtienne. L'ordonnance sur les assassinats du 3 avril a été accueillie avec indignation dans la presse internationale. Pour les journalistes haïtiens, le long déni de justice et l'impunité autour de l'assassinat de Jean Dominique laisse béante la porte des agressions de plus en plus fréquentes contre les médias et les travailleurs de la presse.
Nous nous attendions certes à certaines accommodations politiciennes à un assassinat éminemment politique. Mais pour certains qui en 1987 et en 1990 avaient cru à certains idéaux de justice, de participation et de transparence, le cas Jean Dominique, emblématique d'un combat démocratique interne, long et douloureux aurait pu être l'occasion d'actes politiques de courage et de vision, permettant entr'autre au parti au pouvoir de racheter de regrettables erreurs et de réaffirmer enfin les valeurs qui lui avaient valu sa popularité. L'enjeu politique est lourd. Il est d'une actualité brûlante.